« B » comme Bateau

Publié le par Paddygenéalo

Mes bateaux à moi n’ont emmené personne à Valparaiso et n’ont abordé aucune île lointaine. Tout au plus ont-il accosté à l’île saint Denis, celle de la Seine…

Mes bateaux à moi n’ont jamais affronté les océans, pas même la mer du Nord. Leur domaine, c’était le canal. Et quelques rivières : l’Escaut d’abord, avec la Scarpe son affluent, et puis l’Oise, la Seine. Mais surtout des canaux, à tel point que chez moi, pour désigner la Scarpe on dit « le canal ». Oui, ce canal là, celui qui chez Brel s’est pendu. C’est que dans la plaine qui, lentement, rejoint la mer du Nord coulent quelques rivières que les hommes ont transformées et reliées entre elles avec tant de canaux qu’à la fin on appelle canal même les rivières.

L’un de mes grands-pères était issu d’une longue tradition batelière. Il était de nulle part, aimait-on plaisanter avec lui. Il était de l’autre siècle. Non, non, pas le XXè, le précédent. Né en 1899, il a été mobilisé avec la classe 19, assez tard pour échapper au pire. Mais là n’est pas l’objet de ce post. Tout juste remarquerai-je qu’il fut versé au 36è RI, vu que la famille était alors installée dans l’île Lacroix près de Rouen, peut-être en raison de la guerre. Il n’a donc pas rejoint les nombreux bateliers qui se trouvaient dans les régiments du génie comme sapeurs. Fin de la digression d’actualité.

Mon grand-père, je savais où et quand il était né parce que c’est écrit dans son acte de mariage. Et puis l’année, on lui avait tellement souvent rappelé son appartenance à l’autre siècle que je ne pouvais l’ignorer. Seulement, pendant longtemps, les registres de Chauny (Aisne) de l’année 1899 ne furent pas disponibles en ligne. C’est donc bien après avoir retrouvé la trace de ses ancêtres et de nos nombreux cousins que j’ai enfin pu lire son acte de naissance grâce à une nouvelle mise en ligne.

La découverte de l’acte de naissance de son père relève quant à elle d’un coup de chance. Alors que j’étais encore bien débutant en généalogie, je vis par hasard que les archives de Pontoise étaient disponibles en ligne. Or c’est un important port fluvial, proche du confluent de la Seine et de l’Oise, autrement dit à l’arrivée de tout le trafic fluvial provenant du Nord de la France. C’est ainsi que j’ai trouvé Clotère Charlemagne Bernard, ou plutôt son acte de naissance daté du 24 janvier 1869. La fin du second empire. Comme il est décédé en 1956, cela a été reporté sur son acte de naissance et c’est ainsi que j’ai pu retrouver cet acte là aussi.

La Baqueterie à Denain

La Baqueterie à Denain

Il n’y a pas eu tellement de bateliers chez les Bernard : le grand-père de Clotère était cultivateur mais son père a épousé la fille d’un batelier et c’est ainsi que j'en compte un certain nombre parmi mes ancêtres. J’en ai trouvé jusqu’au XVIIè siècle, ceux-là étant pour la plupart des « bateliers de Condé » (sur Escaut bien sûr). Mais mon propos n’est pas ici de raconter mon arbre généalogique.

Je voulais profiter de l’occasion pour donner un aperçu de la généalogie batelière. C’est presque une discipline à part et à vrai dire, l’expert dans la famille serait plutôt ma sœur qui a recensé bien plus de cousins dans les branches batelières que n’en compte mon propre arbre (il n’aura échappé à personne que nous avons le même, pour toute la partie ascendante).

L’une des grandes difficultés avec les bateliers est qu’ils habitent (je devrais mettre cela au passé d’ailleurs) le bateau. De fait, les enfants naissaient là où leurs parents se trouvaient : si mon grand-père est né à Chauny, son père est venu au monde à Pontoise et sa mère à Hensies, en Belgique, ou plutôt sur un canal. On trouve beaucoup plus de générations batelières du côté de cette arrière-grand-mère certes née en Belgique mais pas tellement belge. A vrai dire, il n’y a pas de frontière entre le Nord de la France et la Belgique. Pas même de frontière linguistique : on parlait picard à Tournai comme dans ce que l’on appelle la Flandre française, et si le Wallon parlé plus à l’est est un peu différent, ce sont deux langues fort proches.

Revenons donc à mon aïeul Clotère Charlemagne. J’avais donc son acte de naissance, à Pontoise, et son acte de décès, à Douai. Entre-temps, il s’était marié. Je ne le savais pas encore, mais les actes de mariage des bateliers sont les plus faciles à trouver. Et pour cause, si leur naissance se produit au hasard des déplacements du bateau de leurs parents, si leur décès intervient lui aussi, à une époque où le retraite n’existait pas, là où le bateau est arrêté, il n’en va pas de même des mariages.

Ils semblent avoir été chez les bateliers du XIXè et aussi du début du XXè siècle les seules occasions données aux familles de se retrouver. C’est ainsi que Clotère Bernard et Alice Blasseau se sont mariés à Condé-sur-l’Escaut comme une bonne partie de mes ancêtres de cette branche. Si on ajoute ceux de Fresnes-sur-Escaut, de Mortagne, et aussi de Nivelle d’où étaient originaires les Bernard, on a une bonne partie des mariages de ma branche batelière.

 

Quelques dates de la vie de Léandre Blasseau, beau-père de Clotère Bernard et mon trisaîeul, sur une carte le long des voies d'eau.

Pour le généalogiste, c’est un cheminement particulier : c’est souvent par le mariage que j’ai retrouvé certains de mes ancêtres bateliers. Quand ailleurs on était sédentaire, bougeant fort peu jusqu’à la fin du XIXè siècle, ces familles ont inscrit leurs noms dans les registres de bien des communes le long des canaux et fleuves, parfois, surtout à partir du XIXè siècle fort loin de leurs bases du Nord de la France.

Et puis, j'ai gardé pour la fin ce qui pourra paraître comme un détail. L'acte de naissance de mon grand-père dit "A comparu Clotère Charlemagne Bernard, âgé de 30 ans, bâtelier, domicilié à Nivelles (Nord), lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né en son bâteau "l'égalité" en ce moment stationné sur le territoire de cette ville dans la rivière d'Oise".

Naître sur l'Egalité, tout de même.

Publié dans ChallengeAZ

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F
Remonter au XXème siècle, ce n'est pas facile. <br /> J'admire vos recherches et votre article qui montrent à quel point il est possible de trouver des preuves aussi lointaines en sachant relier les origines de ses ancêtres.
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M
Passionnant article. <br /> Une petite question : si on crée une carte avec Google, est-ce facile de l'intégrer dans nos articles (comme celles du Geoportail par exemple?). L'intérêt ici est évidemment de pouvoir y ajouter des repères.
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P
Oui, c'est de mon point de vue (pas objectif) assez simple (sinon je ne ferais pas: ici j'ai juste repris une carte créée pour une autre raison). Google myMaps a une fonction permettant de créer un lien (de type HTML) qui peut être intégré. Il faut donc que le système de gestion utilisé le permette<br /> Exemple<br />