Les burkinabè du Courneau

Publié le par Paddygenéalo

Ils sont 75 burkinabè, c’est-à-dire que j’ai trouvé 75 soldats originaires de l’actuel Burkina Faso qui ont trouvé la mort au sinistre camp du Courneau, dit de camp de la misère. Sans doute y en a-t-il d’autres, et certainement plusieurs d’entre eux sont-ils nés dans des territoires qui sont aujourd’hui au Mali ou au Niger mais ceux que j’ai recensés sont ceux qui ont été classés, à tort ou à raison, comme originaires de ce qui est aujourd’hui le Burkina Faso.

En fait, on ne peut guère s’appuyer que sur les relevés effectués et sur les documents d’origine militaire qui sont souvent laconiques en ce qui concerne les soldats que l’on a qualifiés de sénégalais. Leur lieu de naissance n’est pas toujours indiqué, et quand il l’est, c’est avec une transcription qui ne permet pas d’établir facilement le lien avec un lieu tel qu’il est connu de nos jours.

La plupart des fiches sur Mémoire des Hommes sont très pauvres. Si l’unité militaire, le plus souvent un bataillon de tirailleurs sénégalais, est indiquée, il n’en va pas de même de la plupart des informations qui ne posent aucun problème pour les soldats métropolitains. La date de naissance est inconnue et même l’année est approximative quand elle est mentionnée. La classe est souvent manquante ou très arbitraire. Même le bureau de recrutement, qui peut être une aide pour localiser l’origine du soldat, n’est pas toujours conservé. Quant à une éventuelle transcription du décès… Elle n’existe presque jamais pour les soldats du Courneau, morts loin de chez eux et loin du front aussi. On n’a pas jugé utile de transcrire leur décès dans un état-civil de toute manière balbutiant.

Les burkinabè du Courneau

Courneau

 

Revenons au camp de la misère, le Courneau. Il était situé sur la commune de la Teste-de-Buch en Gironde. Au départ, cela ressemble à une idée généreuse : épargner à ces soldats venus d’Afrique, et donc fort peu préparés à cela, les rigueurs d’un hiver dans les tranchées. A vrai dire, c’est surtout le constat de pertes dues à des épidémies contre lesquelles ces hommes n’étaient évidemment pas armés, qui a poussé l’administration militaire à vouloir préserver ces soldats pour la boucherie du printemps suivant.

Hélas, dans la pratique, le Courneau a été l’endroit où sont morts, surtout l’hiver 1916, un millier de soldats coloniaux, parqués dans des baraquements d’une salubrité douteuse. Ils sont morts de bronchite, de tuberculose et de toutes ces maladies qu’on voulait leur éviter.

Je ne suis pas un expert. Comme tout un chacun, j’ignorais même l’existence du Courneau. Et puis, au hasard de l’indexation, je me suis rendu compte que beaucoup de ces soldats venus d’Afrique sont morts en Gironde (et tant d’autres dans les hôpitaux des Alpes-Maritimes). Je me suis renseigné et j’ai découvert ce camp de la misère dont il ne reste pas grand-chose, pas même un cimetière décent pour tous, juste un ossuaire pour la plupart et un monument où sont inscrits les noms de ces mille soldats.

Le Courneau est une de ces pages de notre histoire dont nous ne pouvons être fiers. Il ne s’agit pas ici d’une quelconque repentance ou d’un pardon à demander, je ne me sens ni coupable ni responsable des actes de ces généraux qui envoyaient aussi ceux de mes villages se faire tuer. Mais il faut savoir. L’ignorance permet que les crimes se renouvellent.

On trouvera plus loin quelques liens vers des ressources plus documentées sur le Courneau.

Ma petite pierre à l’édifice de la connaissance est bien modeste. Indexer ces 75 fiches sur Mémoire des Hommes n’apporte pas grand-chose dans l’absolu. Et pourtant, il fallait le faire comme il faudrait s’attaquer à toutes ces fiches que la fameuse « task force » du défi « un jour un poilu » tente d’indexer. Celles des « sénégalais » passent au travers des critères habituels (mon nom, mon village, etc..) alors j’en prends quelques-unes, en constatant le plus souvent qu’elles sont fort pauvres en informations. L’indexation n’est pas une fin en soi : on peut espérer qu’elle permettra des recherches plus approfondies.

Pour en savoir plus:

 

 

Les lieux de naissance des soldats "burkinabè" décédés au Courneau. Pour certains d'entre eux, le lieu de naissance indiqué sur la fiche Mémoire des Hommes est impossible à associer à un lieu connu moderne: dans ce cas, c'est le chef-lieu de la région d'origine, ou à défaut le bureau de recrutement qui a servi à placer un point sur la carte.

Chacun constatera que quelques points se situent en dehors des limites du Burkina Faso. J'ai pris le parti de conserver les soldats qui, à tort ou à raison, sont répertoriés sur Mémoire des Hommes comme originaires de l'actuel Burkina. A l'origine, ils sont tous classés suivant le nom du territoire à l'époque, le plus souvent "Haut-Sénégal-Niger" et ont été rattachés ultérieurement comme on le constatera en consultant les fiches individuelles. Le cas du "cercle de Say" est particulier: ce territoire, frontalier, est actuellement au Niger mais les soldats qui en étaient originaires sont souvent classés avec le Burkina.

 

Liste des soldats venus du Burkina décédés au Courneau

Bien sûr, cela peut paraître dérisoire et vain de dresser ce monument aux morts virtuel, mais le voici.

Publié dans 14-18, Burkina

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A
Le nouveau slogan aux USA ou j'habite est: "Black lives matter". Je vous felicite pour l'avoir prouve avec vos recherches et votre temps. Mon grand-pere, qui a eu le bonheur de retourner de cette guerre apres 4 ans de combat et un sejour en camp de prisonniers de 2 mois dont il a reussi a s'evade, nous parlait de ses pauvres soldats qui semblaient toujours avoir froid et qui etaient pour la plupart tres courageux a son avis. Beau temoignage.
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G
Merçi pour eux, votre démarche nous permet de se rappeler( même si cela peut paraitre une évidence) que nous faisons tous partie d'une même humanité, que pour ces personnes nous devons aussi nous souvenirs de leurs sacrifices pour NOUS.J'ai été très sensible à votre travail et regrette que je n'ai pas cette capacité à réalisé ce même travail à mon niveau.
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P
Participer au défi "un jour un poilu" est à la portée de tous. Chaque contribution, même modeste est utile.
V
Félicitations pour ce travail de mémoire totalement désintéressé. J'espère qu'il permettra, grâce à la "magie" de l'internet, à certains membres des familles de ces soldats de retrouver la trace de leur lieu de décès.
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P
Merci pour les félicitations. Je ne suis pas si sûr que ça le mérite. Cela étant, comme ces hommes sont morts il y a un siècle, qu'ils étaient pour la plupart originaires de petits villages, seule la mémoire des anciens peut encore les relier à une famille et il est hélas quasi certain que plus personne ne sait dire avec certitude si l'un ou l'autre est un parent, du moins au sens européen du terme. Surtout que la nouvelle de leur décès n'est probablement jamais arrivée: sur les fiches des soldats morts au Courneau il n'y a pas d'indication de transcription (alors que ceux morts au front ont assez souvent une transcription à Ouaga, à Ouahigouya ou une autre ville importante), au moins une indication d'un envoi au représentant du ministère des colonies.<br /> Il faudrait mener l'enquête sur place mais je reconnais qu'en ce moment, au Burkina, ils ont d'autres urgences.